UN DE SES AMIS TÉMOIGNE « LE PÈRE FRANS AURA RÉSISTÉ JUSQU’AU BOUT »
Le 09 avril 2014 | Mise à jour le 09 avril 2014
GAËLLE LEGENNE
Le père jésuite syrien Ziad Hilal était un ami du père Frans Van Der Lugt, froidement assassiné lundi à Homs, en Syrie. Pour Paris Match, il témoigne.
Le prêtre jésuite syrien Ziad Hilal, vit également à Homs dans une maison située à quelques mètres de l’endroit où a été assassiné le Père Frans, son ami. Là bas, Ziad a fondé le centre éducatif Saint-Sauveur qui scolarise aujourd’hui plus de 1300 enfants. Joint par téléphone, il réagit à la mort du Père Frans et parle de la perte d’un «grand homme».
Paris Match. Comment avez-vous appris la mort du père Frans Van Der Lugt?
Ziad Hilal. J’ai reçu un appel lundi vers 11 heures du matin. Une personne m’a appris qu’un homme masqué avait demandé à voir le père Frans. Ce dernier était dans le jardin. L’homme l’a rejoint et lui a tiré une balle dans la tête avant de s’enfuir. Dans la tête, comme ça froidement. Comment peut-on faire ça? Le père Frans était un homme de paix, un grand homme. Ses amis étaient de toute confession, chrétiens, musulmans. Depuis deux ans la vieille ville était assiégée, on lui a demandé plusieurs fois de sortir à cause des combats quotidiens, mais le père n’a jamais voulu partir. Jamais. Il était le seul religieux chrétien dans ce quartier et il aura résisté jusqu’au bout. C’était un grand homme.
Vous vivez non loin du monastère où il habitait?
Oui, nous avons deux maisons jésuites à Homs. Nous étions trois jésuites et nous ne sommes maintenant plus que deux. Je vis exactement à 900 mètres de la maison du père Frans, là où il a été assassiné. Mais je ne l’ai pas vu depuis le 28 mai 2012. Ce jour-là, il m’avait appelé pour que je vienne à l’enterrement d’un jeune qui avait été tué dans les combats. Ensuite plusieurs bombes sont tombées et je suis reparti. Le vieux Homs étant assiégé par l’armée régulière et je n’ai pas pu y retourner. Le père Frans avait été plusieurs fois menacé à cause de son choix de rester dans la vieille ville.
Quand lui avez vous parlé pour la dernière fois, quelle était sa vie au quotidien?
Je l’appelais sur son portable très souvent. Il lisait souvent, il aimait le yoga et marcher dans la nature. Mais son quotidien, c’était les autres. Il y a deux semaines, il disait : «On ne peut pas découvrir les autres sans s’oublier soi-même». Le père Frans c’était ça. Un homme qui servait les hommes avant de penser à lui. Avant la guerre, il avait créé un centre pour les handicapés, les femmes en difficulté, les jeunes au chômage. Mais à présent là-bas les rues sont fermées, bloquées, il n’y a pas de nourriture, très peu d’eau. Le père Frans m’expliquait que les gens arrivaient à peine à manger avec des herbes plantées et des grains de blés. A Homs, il allait chaque jour à la recherche de nourriture pour les vieillards et disait : «Je ne peux pas quitter ces gens». A l’annonce de sa mort, nous avons d’abord tenté de négocier avec les deux parties du conflit pour faire évacuer son corps de la vieille ville. Nous avons contacté les autorités mais ils n’ont pas donné suite. Alors nous avons pris la décision de ne plus le faire sortir. Le père Frans mérite de ne pas quitter la maison dans laquelle il était depuis trois ans. Il reposera là bas.
Après cet assassinat, comment voyez-vous l’avenir?
L’assassinat du père Frans n’arrêtera pas le travail que l’on a commencé ici. Nous devons prendre exemple sur son espérance et la manière qu’il avait de nous encourager chaque jour. Mais la situation est de plus en plus difficile. Il faut trouver des solutions au niveau mondial. Au moins un cessez-le-feu afin que les gens puissent travailler, circuler, vivre. Il n’y a que des morts, que des blessés partout, c’est infernal de continuer une telle vie. Aujourd’hui nous avons l’impression que le monde nous regarde comme ça, gratuitement. Il faut que la force internationale fasse quelque chose pour notre peuple.
Source : http://www.parismatch.com/Actu/International/Le-pere-Frans-aura-resiste-jusqu-au-bout-558832