Un dimanche chez Bachar al-Assad – par Hala Kodmani
Un dimanche chez Bachar al-Assad – Par Hala Kodmani — 9 janvier 2017 à 18:48
Que conclure de l’interview du président syrien par trois médias français ? Que son discours n’a pas changé : Al-Assad persiste à qualifier de «terroriste» tout opposant à son régime.
Interviewer Bachar al-Assad au lendemain du tournant décisif que constitue dans le conflit syrien la reprise par ses troupes de la totalité d’Alep se justifie politiquement et professionnellement. Les trois grands médias audiovisuels français qui ont dépêché leurs envoyés spéciaux à Damas pour l’occasion ont fait un travail légitime de journalistes. Le souci de présenter l’entretien avec «le dictateur syrien», comme l’a fait France Info, apparaît comme une prise de distance gênée. Un effort de contextualisation et d’éditorialisation supplémentaire a été fait dans ce sens par le correspondant de RTL à Damas. «Costume et cravate bleu, ostensiblement prévenant presque séducteur, Bachar al-Assad répond à toutes les questions. Mais il s’agit d’une façade destinée à passer le message. Dans ses réponses, le Président syrien est froid, sans scrupule», souligne Thomas Prouteau dans son introduction à l’interview. Indiquer en outre, qu’il s’agit d’un «entretien dans le cadre de la visite des trois députés français», comme précisé par ces médias, mérite une autre réflexion. C’est en effet dans les bagages, «embedded» dirait-on sur un terrain militaire, avec Thierry Mariani et deux autres députés de droite, que les journalistes français ont pu obtenir cette rencontre avec Bachar al-Assad. Sans ce genre d’introduction, l’accès au président syrien aurait été plus long et compliqué.
Les trois médias étaient quatre
Le résultat de l’exercice doit plutôt être évalué à l’intérêt des propos finalement rapportés. A en juger par les principaux extraits diffusés, les paroles de Bachar al-Assad après Alep sont quasiment identiques à celles d’avant. Le maître de Damas qualifie de «terroristes» tous les opposants à son régime, allant même jusqu’à confondre l’Etat islamique avec les Casques blancs, les secouristes de la Défense civile. Il continue de mentir effrontément en niant l’usage par ses forces de barils explosifs sur les populations civiles, de bombardements d’hôpitaux ou de tortures de prisonniers, en résumant «Donc toute cette histoire ne tient pas debout». Même s’il ajoute que toutes les guerres sont «mauvaises». La seule nouveauté intéressante en pleine campagne présidentielle française concerne l’appréciation de Bachar al-Assad pour «la position bienvenue de François Fillon» qui «veut combattre le terrorisme et qui ne se mêle pas de la politique syrienne».
Pour mieux comprendre le sens de «la fleur» lancée par le dictateur au candidat des Républicains, il faut aller regarder de plus près les parties de l’entretien non rapportées par les intervieweurs de Damas. Il faut tomber sur le compte Twitter de la Présidence syrienne pour découvrir que les trois médias français étaient quatre. Outre ceux de RTL, France Info et la Chaîne parlementaire, se trouvait la correspondante du site Boulevard Voltaire, fondé par Robert Ménard.
Dans les extraits vidéo de «l’entretien nécessaire, passionnant» tel que qualifié par le site, Bachar traite la France «d’Etat aveugle» depuis qu’elle n’a plus de relations avec lui. Il fustige «la politique de l’autruche» du gouvernement de François Hollande qui «nuit aux intérêts de la France». Mais il inclut dans cet aveuglement «les médias mainstream qui ont échoué. Leur version a été discréditée. C’est dans les médias alternatifs qu’il faut aller chercher la vérité». La recommandation de Bachar Al-Assad, reprise par Boulevard Voltaire, a été ignorée des trois autres médias présents. De quoi alimenter les théories conspirationnistes sur «les médias qui mentent».