Un hôpital de plus bombardé par Assad en Syrie – par Jean-Pierre Filiu
Au moins vingt personnes ont été tuées dans le bombardement aérien par le régime Assad de l’hôpital Al-Qods (Jérusalem), situé dans la zone d’Alep tenue par les forces révolutionnaires, le soir du 27 avril 2016. Médecins Sans Frontière (MSF), dont un des hôpitaux avait déjà été bombardé le 15 février dernier, avait alors dénoncé une politique délibérée de destructions des infrastructures sanitaires, visant à terroriser les populations et à les faire fuir. Le bombardement du 27 avril intervient alors qu’une « cessation des hostilités » est censée prévaloir entre loyalistes et révolutionnaires depuis deux mois, cette trêve excluant aussi bien Daech, le bien mal nommé « Etat islamique », que le front Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida.
Je connais l’hôpital bombardé pour m’y être rendu en juillet 2013, dans le cadre d’un reportage à Alep pour la revue XXI. Il se trouve dans le quartier de Sukkari, déjà âprement pilonné par le régime Assad, lorsque les milices de l’opposition s’étaient emparé de la moitié nord et est de la deuxième ville de Syrie. Militarisé au plus fort des combats, il était lors de mon passage retourné à une administration civile. Ce processus de résistance citoyenne, qui voit les comités locaux prendre (ou reprendre) le pas sur les groupes armés dès que le conflit s’apaise, est observé dans toute la Syrie.
La « cessation des hostilités », quand elle avait encore un sens, avait ainsi été accompagnée par la reprise des manifestations pacifiques dans une centaine de localités sous le contrôle de l’opposition. Les protestataires n’avaient pas hésité à défier, au-delà du régime Assad, les miliciens jihadistes de Nosra, par exemple dans la province d’Idlib. Ces mêmes jihadistes avaient alors tout fait pour saboter la trêve, en phase une fois de plus avec le régime. Depuis le début du soulèvement populaire, au printemps 2011, Assad s’est en effet efforcé avec constance de « jihadiser » la révolution, avec le soutien inconditionnel de la Russie, pleinement engagée aujourd’hui sur le terrain.
Mais revenons à juillet 2013 et à mon séjour à Alep, qui coïncide avec celui de la romancière Samar Yazbek dans la province d’Idlib, source de son extraordinaire livre « Les Portes de l’Enfer ». J’avais été frappé lors de mon arrivée à l’hôpital Al-Qods par l’omniprésence des pochoirs clamant la « Liberté » dans de multiples couleurs. Deux graffitis m’avaient particulièrement impressionné. « La Syrie appartient à tous, et pas seulement aux révolutionnaires », claquait comme un défi citoyen à tous les accapareurs du soulèvement. Juste à côté, une kalachnikov était brisée sur fond d’appel à la démilitarisation : « Après la révolution, nous les casserons ». En voici l’image, prise à l’époque par le photographe Ammar Abd Rabbo.
J’avais rencontré au sein de l’hôpital une militante révolutionnaire de 25 ans, qui s’était engagée clandestinement dès 2011 contre le régime au sein de l’université d’Alep. Elle y étudiait la gestion et le commerce, tout en rêvant un jour de travailler dans le marketing. Malgré les cernes de l’insomnie autour de ses yeux bleu, elle m’avait affirmé d’une voix déterminée : « C’est fini, on s’est tu durant quarante ans, on ne nous fera plus jamais taire ». Elle ajoutait, tout aussi catégorique : « On répète que nous recherchons la mort. Mais si nous voulions la mort, nous serions restés sous le régime Assad, car il nous tuait chaque jour. Non, c’est la vie, et rien que la vie que nous voulons ».
Je l’avais interrogée sur le cancer jihadiste qui diffusait déjà ses métastases en zone révolutionnaire. Là aussi, elle m’avait répondu sans détour : « Je refuse de mettre sur le même plan les crimes de guerre du régime et les exactions perpétrées par les jihadistes. Nous faisons face à une machine de destruction qui veut nous écraser, nous liquider, si jamais nous ne lui résistons pas. Les jihadistes ne sont qu’une menace secondaire, que nous devons contenir aujourd’hui, et que nous traiterons le moment venu ».
De fait, quelques mois après cet entretien, en janvier 2014, les forces révolutionnaires expulsaient Daech des zones d’Alep sous leur contrôle. C’est ce moment que choisissait le régime Assad pour lancer contre les quartiers d’Alep, pourtant ainsi débarrassés des partisans de Baghdadi, une campagne de bombardements aux « barils ». Ces containers de TNT, largués à basse altitude, du fait de l’absence de défense aérienne dans le camp insurgé, ont un impact dévastateur maximal. Ces ravages systématiques ne tardaient pas à faire tomber la population d’Alep « libérée » d’un million à trois cent mille personnes.
L’offensive russe, lancée en septembre 2015, a permis au régime Assad et aux milices pro-iraniennes qui combattent à ses côtés de parachever le siège d’Alep « révolutionnaire ». Mais plutôt que de s’enliser dans une bataille d’Alep, rue par rue, maison par maison, Assad et Poutine préfèrent désormais affamer la cité et la priver de toute assistance élémentaire. Le bombardement du 27 avril 2016 a tué le dernier pédiatre présent dans la zone, ainsi que des personnels soignants et des secouristes déjà bien peu nombreux. Une telle horreur, produit d’une politique systématique, se déroule sous nos yeux. En toute impunité.