Un Syrien de 23 ans, photographe amateur, lauréat du prix Fujaïrah
Un Syrien de 23 ans, photographe amateur, lauréat du prix Fujaïrah
Dernière modification : 11/09/2015
Baraa al-Halabi est un jeune Syrien de 23 ans. Au début du soulèvement en Syrie, il filme et photographie les manifestations avec son téléphone portable. Il est lauréat aujourd’hui du prix international de photojournalisme Fujaïrah. Portrait.
Il y a cinq ans, il était encore un étudiant parmi d’autres à l’université d’Alep. Rien ne le prédestinait à devenir photographe de guerre, encore moins à se distinguer dans ce domaine. À 23 ans, Baraa al-Halabi est l’un des lauréats du concours international de photojournalisme de l’émirat de Fujaïrah (Fipcom), duquel France 24 et RFI sont partenaires. « Je suis un fils de la révolution syrienne, elle a fait de moi un photographe », observe timidement le jeune homme.
Dans les locaux de France Médias Monde, où il est invité, sa silhouette juvénile détonne. Il semble intimidé d’être soudain devenu l’objet de tant d’intérêt. « Quand les manifestations ont commencé, en 2011, j’étais en première année d’informatique. J’aurais pu devenir ingénieur, mais j’ai tout laissé tomber pour la révolution. Je ne savais pas encore prendre de photo », se souvient-il dans un sourire voilé de tristesse. Aujourd’hui, il est photo-reporter freelance pour l’AFP. La photo qui lui a valu le prix, ainsi que celles des autres lauréats, sont exposées jusqu’au 11 octobre à l’Institut du monde arabe à Paris.
« J’ai appris la photo tout seul »
Ce révolutionnaire de la première heure est venu à la photographie par la force des choses. Comme beaucoup de citoyens syriens lambda, il s’est improvisé reporter, animé par une volonté farouche de montrer au monde ce qui se passait en Syrie, pays fermé à la presse étrangère. « J’ai commencé par filmer nos manifestations du vendredi avec mon téléphone portable. Et grâce au logiciel Bambuser, on diffusait les rassemblements en direct sur des chaînes internationales, comme Al-Jazira live », raconte Baraa.
Un engagement qui ne tardera pas à lui attirer les foudres du régime syrien. Le 22 juin 2011, plus de 300 étudiants sont arrêtés à la cité universitaire d’Alep pour avoir participé à des manifestations. Baraa est l’un d’eux. Accusé de sabotage et d’insultes au président, il restera emprisonné un mois. « À ma sortie, je suis allé dans les quartiers rebelles d’Alep et je n’en suis plus sorti », poursuit-il. C’est à ce moment là qu’il prend le pseudonyme d’al-Halabi, l’Alépin. Il se consacre un temps à aider dans des groupes et associations humanitaires, puis achète avec ses économies un petit caméscope, début 2013, « pour que les films soient de meilleure qualité ».
Début 2014, il acquiert son premier appareil photo, un Canon 1100. C’est d’ailleurs avec cet appareil qu’il prendra quelques mois plus tard le cliché qui lui a valu son prix. « J’ai voulu apprendre la photo auprès des reporters étrangers qui venaient en Syrie. Mais vu les conditions en Syrie, ils n’ont pas le temps de nous enseigner quoi que ce soit à nous, les amateurs, alors j’ai appris tout seul. Sur YouTube, il y a plein de vidéos qui enseignent des méthodes, je les ai regardées », explique-t-il. Mais c’est surtout en observant les clichés des photo-reporters professionnels qu’il a le plus appris : « J’ai cherché les photos de guerre du ‘New York Times’, ou de ‘The Independant’, par exemple. Je passais beaucoup de temps à observer la composition de l’image, et ce que le photographe avait voulu montrer. »
« J’ai voulu capturer l’expression de son visage »
Une méthode qui porte ses fruits, puisque bientôt Baraa commence à vendre ses images à l’AFP. « C’est un ami qui travaillait déjà pour eux qui leur a parlé de moi », se souvient le jeune homme, qui raconte sa surprise quand l’agence le contacte pour lui demander de sélectionner quelques unes de ses photos en vue de participer à un concours. « J’en ai choisi une dizaine, mais je suis heureux que ce soit cette photo là qui m’ait fait remporter le prix », raconte-t-il.
Car Baraa se souvient très bien du jour où il l’a prise. C’était le 3 juin 2014, le jour de l’élection présidentielle en Syrie, une « mascarade », selon le jeune photographe. « Je quittais mon quartier Boustan al-Kasr et je rentrais dans celui de Soukkari. À ce moment là, un baril d’explosif est tombé sur une mosquée, accolée à immeuble. Quand je suis arrivé sur les lieux on ne voyait rien du tout, tellement il y avait de fumée et de poussière. Dès qu’on a pu y distinguer quelque chose, les gens se sont précipités pour secourir les blessés et j’ai vu ce garçon qui émergeait du brouillard avec sa sœur dans les bras, en appelant à l’aide. Je voulais absolument capturer l’expression de son visage alors qu’il tenait dans ses bras sa petite sœur, qui était certainement morte », poursuit-il. Amer, Baraa explique à quel point, pour lui, « cette photo symbolise l’hypocrisie du régime d’Assad : à deux kilomètres de ce massacre, en zone gouvernementale, il y avait des bureaux de vote ouverts ».
À l’heure où des milliers de Syriens cherchent à gagner l’Europe, Baraa, lui, ne veut pas rester à Paris. Si les pays qui soutenaient la révolution syrienne avaient établi une zone d’exclusion aérienne, longtemps réclamée par l’opposition, il n’y aurait peut-être pas eu autant de victimes, ni de migrants, regrette-t-il. En tous cas, pour lui, l’exil n’est pas une option : « J’ai ma famille à Alep, mais surtout, je ne veux pas quitter la Syrie. Si tout le monde part, il n’y aura plus en Syrie que le régme et Daech » (autre appellation de l’organisation de l’État islamique en arabe).
« Je veux rentrer en Syrie, pour continuer la révolution que j’ai commencée », insiste-t-il. Il tient beaucoup à ce terme de révolution et s’agace de ne plus le lire dans la presse internationale : « On a l’impression que les médias occidentaux ne voient plus que Daech et Al-Nosra, mais nous nous rassemblons toujours les vendredis pour manifester et réclamer la liberté. La révolution n’est pas morte, elle est toujours là, il faut que tout le monde le sache. »