Une journaliste a filmé la répression en Syrie – Marianne Dardard

Article  •  Publié sur Souria Houria le 28 septembre 2011

Une journaliste a filmé la répression en Syrie

Marianne Dardard – publié le 27/09/2011

Sofia Amara, 43 ans, est la première journaliste indépendante à avoir pu filmer – en août 2011 – la révolte du peuple syrien et sa sanglante répression. Son documentaire « Syrie, dans l’enfer de la répression », sera diffusé le 11 octobre à 20h40 sur Arte. Pour lavie.fr elle nous raconte son périple à haut risque.

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Extrait du documentaire « Syrie dans l’enfer de la répression »

Comment avez-vous réussi à entrer en Syrie ?

Normalement, c’est-à-dire avec un visa de tourisme qui ne mentionne pas mon statut de journaliste. Une femme voyageant seule est susceptible d’éveiller les soupçons, je suis donc partie avec une collègue qui parle également l’arabe couramment. Nous avons joué les touristes pro-syriennes et pro-Hezbollah.

Sur place, quelles ont été les conditions pendant ces 15 jours de tournage ?

En arrivant, je ne savais pas exactement où j’allais pouvoir tourner. D’une part, parce que la sécurité est omniprésente et multiforme. L’armée, les « chabiha » [miliciens en civil, ndlr], gros bras du régime… Même une femme ou un enfant peuvent s’avérer être des espions de la dictature… A l’inverse, quand je filmais les manifestations, j’ai dû prouver que moi-même, je n’en n’étais pas un, que j’étais journaliste française. Mais ce type d’information circule très vite. Les autorités ont appris ma présence. Au moment de quitter le pays, j’ai été arrêtée à l’aéroport de Damas. J’avais déjà envoyé à l’étranger mes rushes, néanmoins j’avais toujours une copie sur moi. Après une heure et demie d’interrogatoire, je faisais un tel souk que les policiers m’ont relâchée. Heureusement pour moi, ils étaient incompétents !
D’autre part, je ne voulais pas mettre en danger les personnes qui avaient accepté de témoigner. A Rastan, j’ai filmé depuis la voiture d’Omar*, coordinateur de la révolution sur place. Mais quelqu’un l’a également filmé de l’extérieur en même temps, révélant le numéro de sa plaque d’immatriculation. Depuis, il vit encore plus reclus.

Plus de six mois après le début de la révolte, quel est l’état d’esprit des Syriens ?

Déterminé. Ils veulent aller jusqu’au bout. Comme cette femme rencontrée à Hama, qui a vu son mari et son fils mourir, et m’a dit :« cela fait quarante-deux ans que les Assad nous égorgent vifs ». Beaucoup n’ont plus rien à perdre.

Vous avez filmé les jeunes activistes à Damas, Rastan, Homs et Hama. Quel est leur profil ?

Il est très varié. J’ai rencontré des étudiants en finance et en droit international, des chômeurs. Bien sûr, une majorité est de confession sunnite, par opposition à la minorité alaouite, chiite au pouvoir. Il y a également des ismaéliens [une minorité chiite, ndlr], des kurdes. Le gouvernement essaie de les faire passer pour des communautaires à la botte de l’Arabie saoudite sunnite, mais leur motivation est avant tout politique et non religieuse. Tous souhaitent l’avènement de la démocratie et se considèrent comme un seul peuple. A Homs, leur slogan, c’est « ni l’Iran ni le Hezbollah, ni salafistes, ni frères ». A Hama, une des villes les plus conservatrices et réputée proche des salafistes, tous n’ont qu’un seul mot à la bouche, quelles que soient leur classe sociale, leur origine ou leur religion : nous voulons un Etat laïc. J’ai même entendu certains dire qu’ils voulaient un président juif!

Quelle est l’attitude des chrétiens syriens ?

A Damas, la bourgeoisie chrétienne ne bouge pas pour l’instant. Les minorités attendent toujours avant de réagir pour savoir ce qui va advenir d’elles, c’est un réflexe de survie. Le régime Assad a bien travaillé : il est parvenu à faire croire aux communautés qu’un pouvoir alternatif ne serait jamais aussi laïc que lui, brandissant notamment la menace des Frères musulmans. Mais cette situation semble propre à la capitale. A Homs, j’ai vu des chrétiens manifester ou morts après y avoir participé. Des chrétiens que l’Etat syrien taxe de salafistes !

Plusieurs témoignages montrent l’implication de membres du Hezbollah libanais et de gardiens de la Révolution iranienne dans les massacres.

Oui. A Homs, des Iraniens ont été aperçus par les manifestants. Des photos de leurs cartes d’identité ont été publiées sur Facebook.

D’autres témoignages évoquent une torture pratiquée jusque dans les hôpitaux militaires…

L’ordre est donné d’évacuer tous les manifestants blessés uniquement dans ces hôpitaux. L’armée peut ainsi leur sous-tirer des informations, les torturer voire les achever, ou obliger leurs familles à payer une rançon pour les faire soigner ailleurs. Ce sont des mouroirs où les médecins cachent des pistolets dans leurs poches.

A la suite de votre reportage, plusieurs Syriens que vous avez rencontrés ont été arrêtés. Avez-vous de leurs nouvelles ?

A Rastan, Omar, le coordinateur de la révolution, a dû quitter sa famille. Apparemment il se porte bien, mais n’est plus actif sur Internet. Son oncle, qui m’a beaucoup aidée aussi, n’a toujours pas été relâché, mais serait en vie. Quant à cet officier libre capturé après mon passage, il aurait été tué.

* Pour des raisons de sécurité, son prénom a été modifié

Source : http://www.lavie.fr/actualite/monde/une-journaliste-a-filme-la-repression-en-syrie-27-09-2011-20316_5.php

Date : 27/9/2011