Une partie de la bourgeoisie de Damas et d’Alep retire son soutien à un régime toujours plus menacé par la rébellion – Hala Kodmani
Dans le souk historique de Hamidyeh, les rideaux métalliques des magasins sont restés baissés lundi 28 mai. Longtemps appelés à la faire, souvent empêchés, les commerçants de la capitale ont enfin observé une grève en signe de deuil après le massacre de Houla. Ils ont demandé à leurs clients de s’éloigner et ont résisté aux menaces et aux intimidations des policiers et des chabihha (miliciens pro-régime), nombreux dans les environs, pour forcer l’ouverture des boutiques.
Colis piégés. Le bazar s’est enfin joint au défi lancé à un régime qui pouvait encore se prévaloir de l’appui, même passif, de la bourgeoisie commerçante sunnite de Damas. Et d’Alep aussi : la deuxième ville du pays avait connu la veille des manifestations sans précédent. «Il reste toutefois un noyau dur de bourgeois d’affaires qui soutiennent le pouvoir et refusent le changement», affirme Rime Allaf, experte syrienne auprès de l’institut londonien Chatham House, en soulignant au passage que les hommes de Bachar al-Assad et de son cousin Rami Makhlouf sont sunnites, comme les principaux responsables du parti Baas, «élus» au nouveau Parlement mis en place le 24 mai.
L’argument selon lequel les deux plus grandes villes syriennes «ne bougent pas» était cité par de nombreux analystes pour signifier qu’Al-Assad contrôle encore fermement la situation dans le pays. Or, les habitants de la capitale en témoignent : tandis que les manifestations pacifiques se multiplient, plus un quartier ne peut être considéré comme loyal ou est à l’abri des coups de feu, explosions et colis piégés qui touchent quotidiennement la ville. Le quadrillage sécuritaire destiné à empêcher ces attaques est de plus en plus concentré, depuis quelques semaines, sur la protection des responsables civils et militaires du régime, de leurs maisons désormais cernées par des murs anti-attentats ou de leurs familles qui se déplacent en voitures blindées et sous escorte.
«Sur les dents, les forces de sécurité, deviennent hystériques et tirent sur tout ce qui bouge», confirme un habitant souhaitant rester anonyme. La panique au sein des services et des hommes du régime s’est accrue depuis qu’un attentat au poison aurait été perpétré par un domestique contre six hauts responsables de la sécurité du régime. Même si l’on n’a encore aucune certitude sur la réalité de cette opération, la capacité des opposants à infiltrer le cercle le plus rapproché du pouvoir a sérieusement ébranlé les plus hautes sphères.«L’omerta étant la règle comme dans tout système mafieux, il est très difficile de savoir ce qui se passe au sein du clan», précise un ancien diplomate occidental. Certains témoins ont pu mesurer la perte de terrain des forces du régime. Ainsi, un commerçant syrien de passage en France, qui est allé prendre son vol à l’aéroport d’Amman (Jordanie), souligne le paradoxe : «Si, à Damas, j’ai été arrêté tous les 300 mètres par un barrage de sécurité, une fois sorti de la capitale, je n’ai pas vu un seul contrôle jusqu’à la frontière jordanienne.»
Obligées de resserrer la sécurité dans la capitale, les troupes loyalistes ont lâché prise sur certaines parties du territoire. Les fameuses «bandes terroristes» sur lesquelles le régime rejette la responsabilité des violences peuvent circuler de plus en plus aisément. L’accroissement du nombre de rebelles armés et de leurs moyens posent un défi grandissant pour les troupes régulières. Les confrontations directes sont de plus en plus fréquentes et meurtrières, notamment à la périphérie des grandes villes, dont Damas. Des «déserteurs virtuels» au sein des forces gouvernementales permettent aux rebelles de mener des opérations audacieuses, dont des assassinats ciblés d’officiers.
«Cruauté». La puissance de feu reste cependant aux mains des loyalistes qui continuent de réprimer, sans toutefois pouvoir contrôler durablement le terrain. A Homs, tombé fin février, certains quartiers ont été repris par la rébellion et à nouveau bombardés. «Les différentes unités loyalistes et les services de sécurité fonctionnent sur la base de la compétition et mènent des représailles collectives donnant lieu à des débordements, comme à Houla», explique un militaire à la retraite.
«On va sans doute assister à un surcroît de cruauté dans les semaines à venir, à mesure que le régime cherchera à affirmer sa force pour tétaniser la population et la communauté internationale.» «A condition qu’il n’aille pas jusqu’aux massacres d’enfants, provoquant une levée de boucliers internationale, nuance Rime Allaf. S’ils estiment que le régime devient davantage un fardeau qu’un allié, en particulier pour prévenir le chaos dans le pays, les Russes finiront par le lâcher.»
Source: http://www.liberation.fr/monde/2012/06/01/la-peur-gagne-le-pouvoir_823118