Unesco, La désespérance absolue: Lettre ouverte
J’ai lu sur le site de l’UNESCO la communication de presse du 27 mars faite par Madame la Directrice générale concernant la libération de Palmyre. Il va de soi que l’expulsion des islamistes est une bonne nouvelle pour tout le monde, et je ne peux que m’en réjouir de tout cœur, bien que la perte, puis la reprise de la ville de Palmyre aient été, avant tout, l’objet d’une mise en scène médiatique, et non de la lutte acharnée que l’on voudrait nous faire accroire. De cela, toute personne qui s’est tenue suffisamment au courant de la réalité du terrain et du déroulement des opérations sur place est assurément consciente.
En revanche, je suis fortement choqué, comme la plupart de mes collègues syriens, par deux points fondamentaux touchant le traitement d’un patrimoine toujours en plein conflit armé :
Primo :
Après maints conflits divers de toutes sortes – ceux du siècle dernier et ceux qui leur ont succédé au XXIe siècle –, l’Unesco envisage tout à coup des actions de « restauration » (la Directrice générale a « réaffirmé son soutien total à la restauration de Palmyre »), comme si la guerre était d’ores et déjà finie, et la population revenue à sa terre natale. Les seules opérations que l’on puisse envisager dans le contexte actuel sont l’état des lieux et les interventions d’urgence, certainement pas les restaurations. Comment peut-on parler de restauration des biens culturels alors que le conflit est en train de ravager le pays ? Et sans même évoquer le sort dramatique des citoyens de Palmyre, chassés par deux terreurs, celle du régime syrien et celle des barbus barbares ? Et surtout, comment peut-on décider à la place des Syriens ce qu’il doit advenir de leur patrimoine culturel ? Comme vous le savez très bien, les spécialistes syriens des biens culturels de Syrie eux-mêmes, toutes catégories confondues, sont soit divisés en mille factions à cause de ce conflit, soit réfugiés un peu partout dans le monde, soit encore ils sont traumatisés, désespérés, etc… Et voilà que l’Unesco ajoute de l’huile sur le feu.
Secundo :
Discuter avec la Russie de l’avenir du patrimoine syrien, et désigner ce pays comme le seul partenaire à posséder les clefs d’un rétablissement de notre identité nationale, prise en otage par les différents acteurs de cette guerre, est aberrant et scandaleux. La Russie joue un rôle diviseur dans notre pays, pour des raisons que vous connaissez fort bien. Paradoxalement, son action représente l’exact opposé de celle qu’appelle de ses vœux Madame la Directrice générale dans la phrase qu’elle a elle-même prononcée : « le rôle essentiel que joue le patrimoine culturel pour la résilience, l’unité nationale et la paix ». Quant à moi, je demande naïvement où se trouve l’unité nationale dans un pays très gravement divisé, politiquement et physiquement, et si la paix (lueur d’espoir des Syriens) est vraiment susceptible d’être atteinte dans un futur proche. En tout état de cause, la Russie, autant que je sache, n’est pas le mandataire de notre pays, pour que l’on négocie avec elle l’avenir de la Syrie.
L’UNESCO devrait être une institution scientifique et morale neutre, une garantie d’intégrité pour les Syriens, tous les Syriens, sans se mêler de leur couleur politique ou d’autres positions partisanes. Il n’y pas lieu ici de prendre parti, ni aux côtés des rebelles, ni avec les rangs loyalistes (bien entendu, les islamistes sont exclus d’emblée). Si, en ces temps critiques, on décide à la place des Syriens, en accord avec seulement une toute petite minorité de leurs spécialistes, cela va créer un énorme problème dans l’avenir, au lendemain du conflit, quand il sera enfin possible d’œuvrer à une réconciliation nationale. Les Syriens attendent de l’Unesco un rôle fédérateur : unifier les Syriens à travers le patrimoine.
Ali Othman
Archéologue – Conservateur du patrimoine
Version anglaise : Absolute despair with UNESCO: An Open Letter