Zaina Erhaim, syrienne et journaliste de l’année – par Laure Stephan
La jeune femme témoigne sur les réseaux sociaux du quotidien de ses compatriotes rebelles, coincés à Alep entre les attaques russes et celles de Bachar Al-Assad. Elle vient d’être primée par Reporters sans frontières.
Cette femme de 30 ans a le caractère bien trempé et beaucoup de courage. C’est d’Alep, « la ville la plus dangereuse au monde », que la journaliste syrienne Zaina Erhaim raconte le quotidien des siens, leurs souffrances et leurs ressources pour rester debout, dans les quartiers sous contrôle rebelle que pilonnent les armées syrienne et russe.
Reporter et formatrice de journalistes-citoyens, elle a vu son engagement primé par Reporters sans frontières (RSF), qui l’a désignée, le 17 novembre, « journaliste de l’année » 2015. « L’attention des médias aujourd’hui sur la Syrie se porte sur le champ militaire, les djihadistes, le régime, ses alliés, constate Alexandra El-Khazen, responsable du bureau Moyen-Orient chez RSF. Zaina Erhaim apporte un côté humain. Sa détermination est un message d’espoir. »
Raconter la vie sous les bombes
Au fil de ses articles ou de ses billets publiés sur son blog, en arabe ou en anglais, la jeune femme décrit les écoles d’Alep qui fonctionnent grâce à des ONG, les enfants qui jouent dans les parcs transformés en cimetières, les rues que l’on parcourt la nuit phares éteints pour ne pas être visé, les fêtes dans les abris. Et puis, ces vies suspendues à la menace des bombes-barils lâchées par le régime contre l’Est rebelle d’Alep.
Les morts, chez elle, sont des amis, des voisins, de petits écoliers. Sans détours, elle parle aussi de la peur à la première personne ; cette peur qui lui fait, dans un geste vain, se boucher les oreilles pour tenter de diminuer le son de l’explosion d’un baril de la mort. « L’amour, écrit-elle dans l’un de ses textes dédiés à son époux Mahmoud Rashwani, militant d’Alep, c’est (…) quand, avant qu’un baril d’explosifs n’éclate, il se place entre toi et la fenêtre pour te protéger des shrapnels avec son propre corps. »
Quand, en 2011, la révolte contre le régime éclate, la jeune Syrienne termine ses études à Londres. A l’été, elle participe à Idlib, sa ville natale, aux manifestations anti-Assad. Après une série d’allers-retours comme journaliste, Zaina Erhaim décide deux ans plus tard de revenir pour de bon dans son pays. Avec pour objectif de témoigner et donner aux autres les outils pour le faire, en les formant. Elle sillonne le nord de la Syrie, puis s’installe à Alep, dans les quartiers insurgés, en 2014 : « Malgré les bombardements, la société civile y est plus vivante que dans d’autres villes, explique-t-elle. De nombreux militants qui ont fui la répression du régime ont décidé de vivre à Alep et d’aider les gens à survivre. »
Responsable des projets syriens de l’Institute for War and Peace Reporting (organisation basée à Londres qui appuie les médias et la société civile dans des pays en conflit), elle a à coeur de soutenir les femmes – un tiers des journalistes-citoyens qu’elle a accompagnés – en Syrie ou en Turquie. Avec un ton mordant, elle dépeint le conservatisme d’Alep ou d’Idlib, duquel elle est toujours allée à « contre-courant ».
My @MahmoudRashwani while running 2 help the victims of 1 of the barrel bombs attacks targeted #Aleppo 2dy #Syria <3 pic.twitter.com/jsBnxAgKZV
— Zaina Erhaim (@ZainaErhaim) November 18, 2015
« Mon @MahmoudRashwani en train de courir pour aider les victimes de l’une des attaques au baril d’explosifs #Alepp », écrit Zaina sur son compte Twitter, en parlant de son mari.
Ce sont aussi des femmes qui sont au centre du documentaire que la reporter, bientôt maman, vient de présenter aux Etats-Unis et en Europe : pendant dix-huit mois, elle a filmé cinq habitantes engagées d’Alep qui secourent les blessés ou offrent à d’autres femmes un lieu de rencontre et de formation.
Derrière ce film, Femmes rebelles de Syrie, une volonté : « Toutes les images [sur la Syrie] parlent des hommes (…) Pour moi, c’était essentiel de témoigner du travail incroyable que réalisent ces femmes, dans de telles circonstances. L’histoire syrienne sera écrite par les vainqueurs hommes, et les femmes seront oubliées. Avec ce documentaire, leur rôle figurera dans les archives, pour le futur de notre patrie. » Pour tourner ce film, elle s’est fait accompagner par un homme – son mari le plus souvent – afin d’atténuer l’attention portée sur elle, en tant que femme et journaliste.
Elle s’insurge contre le fait que le conflit syrien soit réduit à une guerre entre Bachar Al-Assad et djihadistes ou islamistes, ce qui revient à dénier toute place aux Syriens qui rejettent le régime autant que l’extrémisme. Elle témoigne d’amis enlevés ou assassinés par l’organisation Etat islamique, de zones infranchissables près d’Alep, à cause de la présence des djihadistes. Mais Zaina Erhaim croit aussi qu’aucun effort pour venir à bout de l’EI n’aboutira tant que le « dictateur [Bachar Al-Assad] qui a voulu la mort de tous ceux qui ne le soutenaient pas » ne sera pas combattu.
Alors qu’Alep s’enfonce dans le chaos, la jeune femme, sans illusions, répète souvent que ce n’est pas l’espoir qui la porte, mais la fidélité à ceux – dont de nombreux amis – qui ont perdu la vie pour avoir voulu un « pays meilleur » et la liberté.