Les femmes s’engagent pour la Syrie – Par Charlotte Lazimi
Lorsqu’on interroge les militants pour la démocratie en Syrie, une chose est frappante. Les femmes veulent parler. Témoigner. De cette révolution, et de la violence monstrueuse du régime, de ces 70 000 morts, de ces populations civiles prises en otage, des tortures et des viols, et de ce million de réfugiés aux frontières libanaises et jordaniennes. Leur ambition: mobiliser, montrer et dénoncer les crimes commis par les chabiha -les milices pro Assad.
En Syrie, les femmes s’illustrent par leur action. Difficile, pourtant, d’évaluer leur nombre. « Cela peut paraître surprenant, expliqueAgnès Levallois, journaliste et politologue spécialiste du pays, mais les Syriennes sont relativement autonomes. Elles travaillent et sont actives dans la vie publique. » Certaines, comme la célèbre opposante Suhair Atassi, jouent un rôle politique de premier plan. Cette dernière n’hésite pas à défendre les droits des femmes et la liberté dans son pays. Lea Plee, membre de l’association Souria Houria -en français, Syrie Liberté-, créée à Paris au début de la révolution, en mars 2011, a eu envie de rejoindre la Syrie. « Maintenant que mes enfants sont grands, je suis prête à tout pour aider mon peuple », dit cette interprète-traductrice, qui n’est pas retournée dans son pays d’origine depuis 2010. Comme elle, de nombreuses Syriennes ou Franco-Syriennes ont décidé d’agir. Mais elles ne sont pas les seules.
« Le régime est allé tellement loin! »
En France aussi, la mobilisation passe par les femmes. La réalisatrice Béatrice Soulé et la photographe Sarah Moon ont lancé dans les médias, tout au long du mois de mars (qui marque les deux ans du début de la révolution), Vague blanche, un projet qui présente notamment vingt films chocs, intitulés 2′ pour la Syrie, dans lesquels elles ont fédéré des personnalités comme François Cluzet, Stéphane Hessel -qui vient de mourir, le 27 février- ou encore Robert Badinter. « Nous diffusons des images fortes, car ce sont les seules armes des journalistes et des citoyens sur place pour montrer toute l’horreur de la situation », explique Sarah Moon. Ce projet est né d’une indignation et du besoin d’agir. Pour Virginie Dörr, bénévole sur le projet, les femmes sont nombreuses à s’engager pour la défense de la liberté. « J’ai rencontré des personnalités formidables, comme la cinéaste Hala Alabdalla ou la journaliste Hala Kodmani, installées en France », témoigne-t-elle. Même constat pour Agnès Levallois. En contact avec des opposants, elle a organisé de son côté, avec des amies, en janvier dernier, une vente aux enchères d’objets d’art, à l’Institut du monde arabe, SyriArt, 101 oeuvres pour la Syrie. Une réussite, puisqu’elle a collecté 118 000 euros pour financer des projets humanitaires.
Pourquoi le mouvement est-il féminin? Sans faire de généralités, Béatrice Soulé, cinéaste et cofondatrice de la Vague blanche, s’interroge: « Peut-être sommes-nous plus sensibles au massacre des enfants et au courage des femmes? » La première page Facebook qui s’est ouverte pour parler de la révolution, intitulée Pour une Syrie libre, a également été lancée par des jeunes femmes. Son objectif, à l’époque? Informer sur les événements dans le pays, en traduisant textes et vidéos d’opposants en français. De cette initiative est née l’association Pour une Syrie libre. Asmaa Jaber, 22 ans, doctorante à Sciences po en sociologie politique, y milite. « Il faut agir et envoyer des aides humanitaires d’urgence. Les besoins sur place sont colossaux, c’est pourquoi nous organisons des collectes de lait pour les enfants syriens. Il faut des solutions concrètes. » Cette jeune femme pleine d’énergie ne tarit pas sur les difficultés des civils et la terreur du régime. Pourtant, au début de la révolution, elle refusait de s’exprimer dans la presse: « Je ne voulais pas trop parler, car j’espérais retourner en Syrie et je ne voulais pas mettre mes proches en danger. Depuis, tout a changé. Ce n’est plus possible. Le régime est allé tellement loin! »
Le viol est l’arme de guerre du régime
« Bienvenue dans le Paris d’Al-Assad. » Sur les réseaux sociaux, ce sont des messages de ce genre qui ont accueilli la journalisteOla Abbas à son arrivée en France. Car parler de la Syrie en France comporte des risques. En août 2011, Reporters sans frontières alertait sur les pressions du régime d’Al-Assad, qui traquait les opposants à Paris. Ola Abbas a quitté son pays en août dernier, laissant derrière elle sa famille, ses amis et sa maison. Dans un livre, Exilée (Michel Lafon), cette ancienne présentatrice de la radio officielle raconte les mensonges, la propagande et les pressions du régime. Elle reçoit aussi des menaces telles que: « Nous pourrons t’atteindre même si tu es à Paris. » Aujourd’hui, elle vit à l’heure syrienne dans la diaspora et continue de se mobiliser. Elle nous dit rester vigilante: « Il y a sûrement des chabiha ici. Je me méfie, où que j’aille. » Ola Abbas force l’admiration. Elle a tout quitté, elle avait tout à perdre. « Je n’ai pas été assez courageuse. Je voulais rester. Ceux qui ont du courage sont ceux qui se battent là-bas. » Pourtant, en publiant sur Facebook un texte où elle dénonçait le régime et les mensonges des médias, c’est sa vie qu’elle a mis en danger.
Sur le front, les femmes paient le prix fort. Elles agissent en manifestant, en soignant les blessés et en approvisionnant la rébellion. Le viol est l’arme de guerre du régime. Depuis quelques mois, la parole se libère sur les pratiques de la dictature: viols devant la famille, viol avec des rats, torture systématique. Le régime semble sans cesse repousser les limites de la terreur. L’exil est souvent la seule solution. Et pourtant la détermination ne faillit pas. Toutes les militantes n’ont qu’une idée en tête: pouvoir retourner dans leur pays. Libéré.
date : 04/04/2013