Maram Al Masri, poétesse des deux rives par Rémy Pigaglio
La poétesse franco-syrienne Maram Al Masri raconte l’exil, jouant avec ses deux identités orientale et occidentale, avec ses deux langues française et arabe
Maram Al Masri ne rêvait pas d’être poète. Elle a commencé à écrire, adolescente, pour son amoureux de l’époque. Elle était à Lattaquié (ville de la côte méditerranéenne), où elle a grandi ; lui était à Damas. De simples lettres accompagnées d’un poème. Jusqu’à ce que son frère et ses amis l’« adoptent », comme elle dit. « Je savais juste que j’écrivais de la poésie pour épater mon copain. » Mais eux trouvaient qu’elle avait quelque chose.
« JE ME SUIS RÉCONCILIÉE AVEC MON PAYS »
Je te menace d’une colombe blanche paraît à Damas en 1984. Mais Maram Al Masri est déjà partie de l’autre côté de la Méditerranée, en France. Elle avait 20 ans, c’était en 1982. C’est là qu’elle oublie d’écrire.« J’essayais d’être maman, femme, épouse. » Mais pas poète. « J’écrivais de petits poèmes, juste comme ça… » Installée en région parisienne, elle est mariée à un Français qui voit la poésie d’un mauvais œil.
Sa rupture avec son mari provoque ses retrouvailles avec la poésie. Elle qui n’avait pas mis les pieds en Syrie pendant treize ans décide de renouer avec ses origines. « Je me suis réconciliée avec mon pays.J’ai recommencé à parler l’arabe, j’ai redécouvert cette langue. » Voilà ce qui frappe chez Maram Al Masri. Son français est envoûtant, elle y sème des fautes, un accent et des néologismes sans sembler y prêter attention. Elle n’a pas appris le français, même si sa famille en Syrie était francophile et francophone. Le français, c’était la langue des parents, quand ils ne voulaient pas que les enfants comprennent. Et l’arabe ? « J’ai fait un bac S, puis j’ai quitté la Syrie après deux ans d’université où j’étudiais la littérature anglaise. Autant dire des études où l’arabe n’est pas très important. Et c’est une langue très difficile… Alors j’ai voulu l’améliorer ! »« Surtout pas ! » lui répondent ses amis. Ils disent qu’elle va« abîmer son arabe », sa simplicité quasi enfantine.
En arabe et en français – tous ses recueils sont bilingues –, Maram Al Masri écrit dans une prose pure et directe. Ce n’est pas la poésie d’une femme de lettres. « Elle publie dans l’urgence », dit Bruno Doucey, son éditeur. En 2003, Cerise rouge sur un carrelage blanc la révèle au public francophone. Traduit dans de nombreuses langues, elle obtient avec cet ouvrage le prix Adonis. En 2007, Je te regarde, paru quelques années auparavant en Tunisie, lui permet d’obtenir le prix SGDL, et elle rencontre alors Bruno Doucey, qui l’accompagne depuis plusieurs années.
MARAM ÉCRIT CE QU’ELLE CONNAÎT
Chacun de ses recueils dénote une préoccupation, une révolte ou le désir de s’attarder sur quelque chose qui la touche, la bouleverse ou l’attendrit. Dans Les Âmes aux pieds nus, en 2009, chaque poème évoque une femme. Seuls sont donnés le prénom, l’âge et la profession de chacune d’elles. Et elles témoignent, par la plume de Maram, de la violence subie parfois parce qu’on est une femme. Un écho à son passé, puisque Maram écrit ce qu’elle connaît. « Je ne suis pas une intellectuelle, mais plutôt une poète de la vie, d’expériences. Je suis femme, et je parle de causes que je connais bien, que je sens bien. Tous mes livres appartiennent à quelque chose de vécu, que je transforme et distille. »
Maram devait naturellement écrire sur la langue et la relation qu’elle entretient avec le français, la langue de l’accueil, et l’arabe, la langue de l’enfance. En 2011, elle publie Par la fontaine de ma bouche, un recueil aux faux airs de poésie érotique, où elle raconte son corps-à-corps avec la langue et avec l’écriture. « Savoure le mot/mouille-le/tourne-le/comme un grain de raisin/laisse-le rouler sur ta langue/passe-le sous tes dents/convoque tous tes souvenirs/tout fruit/fleur/peine/joie/mâche-le/gargarise-toi avec/avale-le/le plaisir. »
Elle entretient un dialogue. Là avec ses identités, de femme ou de mère, là avec ses langues, là avec ses deux pays, France et Syrie. Exilée en plein Montparnasse, elle reste une femme du Sud. L’an dernier, dans La Robe froissée, Maram Al Masri, la Méditerranéenne, a écrit sur les gens du Nord. « En ce matin nordique/le soleil essuie ses vitres/de la poussière de la nuit/en écartant les nuages épais/Il lâche ses cheveux/qui tombent avec douceur/sur les épaules de la ville noyées de brume/comme un châle de dentelle/tissé par les femmes de l’usine/et les grands-mères. » Pour écrire, sur le Nord, ou les femmes, ou la violence, Maram Al Masri, d’abord, écoute les gens. Ceux-là qui viennent pour l’entendre dire ses poèmes, dans ses lectures en France et dans le monde, avec sa voix aussi envoûtante que son écriture.
LE SOUTIEN AU PEUPLE SYRIEN RÉVOLTÉ
La révolution syrienne a été comme un coup de tonnerre. Le pays avec lequel elle a renoué a sombré dans le chaos en 2011. Les images de la guerre fusent, sur Facebook, YouTube et autres réseaux. Elle vit l’angoisse d’apercevoir, sur son écran, un visage familier, à Lattaquié ou à Damas. « Qu’est-ce que j’étais heureuse, au début, pour ce peuple qui manifeste ! » Mais depuis, le sang ne s’arrête plus de couler. « C’est une histoire de violences conjugales. Le pays a été forcé de se marier à une dictature, à un monstre, qui le frappe et le torture. Mais le dictateur ne veut pas divorcer, il ne veut pas ! »
Maram, depuis deux ans, soutient son peuple révolté. Elle apparaît souvent vêtue du drapeau de la révolution. Et elle écrit Elle va nue la liberté, qui vient de remporter le prix Antonio-Viccaro (1). Elle a écrit ses poèmes à partir des images qu’elle reçoit de Syrie. Elle est mère d’une patrie blessée. « L’avez-vous vu ?/Il portait son enfant dans ses bras/et il avançait d’un pas magistral/la tête haute, le dos droit/Comme l’enfant aurait été heureux et fier/d’être ainsi porté dans les bras de son père/Si seulement il avait été vivant. »
Source : http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Maram-Al-Masri-poetesse-des-deux-rives-2013-07-30-992507
Date : 30/7/2013